I was born in morphina
Avec Maxwell Collins ✘ Impossible. C'est impossible. Ce fut la première chose qui traversa l'esprit de Théa, alors que ses paupières se froissaient à plusieurs reprises sur son regard creux. Il va bien. Je lui ai parlé, à peine dix minutes plus tôt. Il avait l'air au top de sa forme en sortant de son appartement. Certes, un peu alcoolisé, mais joyeux et de forte bonne humeur. Vivant. Entier. Alors, les mots sortirent de sa bouche, formant une accusation pleine de venin, agressive. « Vous mentez, espèce de sale garce ! Vous mentez ! ». Et malgré cette attaque, Théa entendit clairement la fêlure dans sa voix, l'hésitation derrière la colère. En réalité, elle n'attendit même pas que l'infirmière réplique, elle mit fin à la conversation et laissa retomber son bras le long de son corps. Elle se sentait un peu étourdie, absente. Il y eut un moment de flottement où le silence pesa comme une sentence. La garce d'infirmière je-sais-tout aurait sans doute établi ce diagnostic : état de choc avec incapacité à réagir proprement à la nouvelle. Et ça la mit en rogne. Elle ne voulait pas lui donner raison pour quoique ce soit. Alors, son cœur se mit à battre trop fort. Si fort que la douleur dans sa poitrine devint physique. Montée de colère. Ses doigts se mirent à trembler. Un bourdonnement continu résonna en écho dans son crâne. Il s'est fait renversé. Je suis désolée. Sa main droite se crispa sur son portable. Ses jambes devinrent molles, comme bourrées au coton. Va te faire foutre. C'est moi qui serait désolée pour toi et ta famille si je te mets la main dessus après cette foutue plaisanterie, garce d’infirmière anonyme. Cependant, cette pensée fut aussitôt suivit d'une autre, plus violente, plus crue et surtout, plus réaliste. Je n'aurais pas dû le laisser partir. Théa sentit son corps entier se mettre à trembler, alors qu'une bouffée de rage envers elle-même lui retournait le ventre. Elle leva le bras et jeta dans un cri de fureur et d'impuissance son portable contre le mur. Celui-ci éclata en pièces éparses quand ses genoux arrêtèrent de la soutenir. Elle s'écroula sur la moquette d'un rose délavé et elle se sentit soudain si vulnérable qu'elle voulut hurler à nouveau. Sa lèvre inférieure se contenta de trembler légèrement. Le vide creusa sa poitrine. Pas lui. N'importe qui d'autre, mais pas lui. Il était son ancre, le seul qui la connaissait par cœur et l'unique personne à laquelle elle accorderait jamais sa confiance. Son associé, son meilleur ami, son pilier. Celui qui avait réussi à la convaincre de réaliser son rêve et de tourner le dos aux plans de sa famille. Celui avec qui elle ne jouait pas de rôle. Et s'il ne s'en sortait pas ? Parce que ce n'est pas une blague, pas vrai ? La douleur lui coupa le souffle comme si quelqu'un venait de lui donner un uppercut en plein ventre. Elle se plia en deux, penchée sur ses genoux, résistant au besoin de vomir l'alcool qu'elle avait ingurgité en sa joyeuse compagnie un peu plus tôt. Le monde vacilla, tangua, menaça de disparaître sous sa pitoyable silhouette recroquevillée. Des étoiles se mirent à danser devant ses yeux, des étoiles troubles.

Vingt minutes plus tard, elle s'était reprise. Elle avait enfilé un masque qu'elle utilisait pour les grandes occasions qu'elle n'aimait pas. Elle arriva donc à l'hôpital avec une expression neutre. Elle ne souriait pas, ses yeux ne reflétaient rien de particulier et elle avait cessé de trembler. Elle paraissait simplement dans un mauvais jour, comme si quelqu'un venait de renverser son café trop chaud sur son nouveau chemisier préféré. Elle déambula comme un automate à travers les couloirs bondés. Elle s'arrêta finalement devant une porte portant un numéro qu'elle ne réussit pas à lire. Elle resta figée, n'entra pas et n'essaya même pas de pousser le battant. Elle ne pouvait pas entrer, pas maintenant, se rendit-elle compte. Parce que son masque n'était pas très bien mis, aujourd'hui. Il y avait toujours ces foutues larmes qui ne cessaient de couler sur ses joues blafardes, qui marbraient son visage depuis qu'elle avait lâché son téléphone. Alors, elle cilla, posa la paume sur le battant et pria de toutes ses forces pour que la personne qui se trouvait dans le lit aux draps blancs, juste derrière, l'entende même si elle ne dit pas un mot. Je t'en prie, Max, ne me fait pas ça. Ne me laisse pas seule. Je déteste pleurer et je m'effondrerais si tu pars. Parce que j'ai trop besoin de toi.

Down by the riverside
Avec Elvie Turckham ✘ Une randonnée, sans déconner. Elle se doutait qu'Elvie souhaitait garder un œil sur elle, mais l'inviter à une foutue randonnée ? Bon sang, elle détestait ça. Marcher en plein air, sans but précis, n'était pas particulièrement son truc. Tout comme le sport en général. Les courbatures, les brassières, l'âcre parfum de la sueur... tout autant de choses qui l'éloignait des clubs de gym et des pistes cyclables tant affectionnées par les joggeurs. Cependant, elle avait dû accepter. Parce que si Elvie – maudite soit-elle ! - était en train de la tester, elle ne voulait lui donner aucune raison d'avoir des soupçons. Elle n'avait pas envie de se retrouver avec une pseudo-enquêtrice sur le dos, cela compliquerait singulièrement ses plans concernant le jeune Trent. Alors, elle se retrouvait là, crapahutant dans les collines, un sac à dos rouge vif vissé sur ses épaules, se demandant comment elle pourrait se débarrasser de la jolie brune si jamais cette dernière s'entêtait. Quel faute professionnelle pourrait-elle créer et reporter discrètement sur Elvie pour la faire renvoyer ? Il ne fallait pas qu'elle attire l'attention sur elle et elle ne souhaitait pas en arriver là, mais Elvie ne lui laisserait peut-être pas le choix. Elle en était là dans ses réflexions quand leur virée improbable prit un tournant un peu plus improbable encore. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement sous la surprise, mais l'agacement reprit rapidement le dessus. Elles étaient tombées dans une colonie hippie, il n'y avait pas d'autre explication à la cinquantaine de personnes rassemblées autour d'un large feu de camp, guitare en main et harmonica en bouche. Bon, la dernière partie, c'était elle qui fabulait, mais elle n'était pas tout à fait loin de la vérité. Elle était persuadée que l'un d'eux – celui avec l'allure d'un ours en chemise de bûcheron, par exemple – allait bientôt souffler dans l'un de ces instruments que Clint Eastwood affectionnait tant de son temps.

Théa gardait un vif souvenir de cette randonnée, car elle se rappelait avoir été vraiment irritée par cette balade grotesque dans la nature et encore plus pour être tombée sur une bande de musiciens en devenir qui avaient retardé le moment de leur départ. Et surtout, elle se remémorait avoir de nombreuses fois vriller la nuque d'Elvie de regards meurtriers. Quand elle avait le dos tourné, bien sûr. Et plus important encore, elle se souvenait s'être dit qu'elle allait devoir passer les heures suivantes à prétendre être enjouée et charmante. Oui, elle se souvenait de toutes ces choses, mais la raison qui faisait qu'elle gardait un souvenir aussi vif de cette journée demeurait dans le fait, qu'en repartant, elle s'était rendue compte qu'elle s'était vraiment amusée. Elle s'était lâchée, son agacement adouci par les flammes vacillantes du feu de camp et les rires chaleureux et sincères de ses nouveaux compagnons. Elle ne savait pas pour Elvie, mais elle devait avouer qu'elle avait passé un moment qui n'avait pas été aussi désagréable que ce à quoi elle s'attendait.  

Wanna marry you
Avec Aloïs Goodfellow ✘ Théa esquissa d'abord un léger sourire, avant de se mettre à rire sans plus se retenir. Quelle blague ! Parce que ce n'était pas vraiment sérieux, hein ? L'air pincé d'Aloïs lui apprit que, visiblement, ça l'était. Bon, très bien. Elle inspira profondément pour se calmer et se mordit la lèvre pour s'empêcher de lâcher un sarcasme bien senti. « Je t'en prie. T'es plus malin que ça, Aloïs. Pourquoi tu te jetterais dans la gueule du loup, pieds et poings liés ?  C'est du suicide. ». Merde. Il lui faudrait une nouvelle méthode pour retenir ses commentaires, le coup de la lèvre fendue ne marchait plus pour elle. N'empêche qu'elle le pensait. Depuis que sa mère lui avait appris qu'elle aurait probablement un mariage arrangé, Théa détestait l'idée du « mariage », cette espèce de guerre arrangée qui finissait toujours en queue de poisson. Non merci, elle passait son tour. Et elle ne comprenait vraiment pas pourquoi un type aussi intelligent qu'Aloïs souhaitait s’embarrasser avec ce genre de complications. Après tout, il faisait tourner son affaire, était un voleur hors pair séduisant et elle aurait pensé qu'il n'aurait guère de temps à consacrer à une femme qui finirait par devenir amère et désintéressée. Ah, mais apparemment, il avait réponse à tout. Il était amoureux. Théa serra les lèvres, soudain agacée sans vraiment savoir pourquoi. « Amoureux ? Tu ferais mieux de vérifier les verres de whisky qu'elle te file. J'suis certaine qu'elle met de la drogue là-dedans. ». Le timbre de sa voix était un brin trop sec, trop cassant, mais... Sans déconner. Amoureux. C'était d'une mièvrerie dégoulinante, en avait-il conscience ? Elle était irritée. Irritée et déçue. Et elle était d'autant plus agacée qu'elle n'avait pas envie de se sentir comme ça. Seulement, alors qu'elle s'intimait silencieusement de le féliciter – d'enfiler un joli masque de fausse joie pour lui donner une tape amicale sur l'épaule -, elle demanda : « Qui est l'heureuse élue ? ». Puis, elle songea qu'elle s'en foutait. Enfin, pas tout à fait, mais elle n'avait pas envie qu'il le sache. « Laisse tomber, je suis en retard pour mon jogging. Je dois y aller. ». Ouah, le mensonge le plus convaincant du monde, bravo Théa. Elle s'écarta et serra les bras sous sa poitrine en se dirigeant vers la sortie. En passant la porte, elle jeta un dernier regard par-dessus son épaule et leva le bras, le porte-feuille d'Aloïs entre ses doigts. « Tu te ramollis déjà », se moqua-t-elle. Et c'était vrai. Peu importe la femme qui avait réussi à le faire craquer, elle ne devait pas y être aller de main morte : c'était la première fois qu'elle réussissait à subtiliser un objet qu'il portait sur lui. Elle leva un sourcil moqueur et avec une moue sarcastique, elle lança : « Mais félicitations à toi, très cher. ». Cette fois, elle sortit pour de bon. Elle laissa le porte-feuille dans le hall, sur un petit guéridon qui jouxtait la porte d'entrée, ce qui lui prouva définitivement que, oui, Théa Carrington était bel et bien jalouse.

You want a piece of me ?
Avec Trent Hardouey ✘ Salut, mec !

Étonné de recevoir une lettre de ma part ? Ouais, j'imagine carrément, mais pour faire bref, j'ai laissé tomber un pack de bières sur mon ordinateur, lors d'une soirée trop arrosée. Le portable n'était pas loin et en attendant que le tout soit remplacé, je renoue avec le papier trop coupant et les crayons qu'il faut tailler toutes les trois minutes. La joie. Enfin, je viens voir comment ça marche pour toi, si tu t'adaptes bien à ton nouveau boulot et si tes collègues ne te chambrent pas trop. Bon, je t'envoie aussi cette espèce de papier taché de mes pattes de mouches illisibles parce que j'ai aussi des trucs à te raconter. J'ai rencontré une fille, il n'y a pas longtemps. Elle s'appelle Théa, le genre de prénom court et simple qui me plaît bien. Un peu comme elle. Enfin, peut-être pas « courte », parce qu'elle n'est pas si petite que ça, mais elle est simple, un peu timide aussi. Tu aurais dû la voir, mon pote, le premier jour où elle a travaillé en tant que serveuse au Wash'n'Drink : j'ai cru qu'elle allait finir par bégayer tellement elle était nerveuse. Mais, tu sais, c'est ce qui me plaît bien chez elle. Elle ne se prend pas la tête, elle sourit tout le temps et ce n'est pas une garce, je ne l'ai jamais vu se montrer méchante avec qui que ce soit. Ouais, je sais, ce n'est pas ton genre. Tu dois te dire qu'elle a l'air de manquer de caractère, mais je t'assure qu'elle en a à revendre. Sa répartie te plairait particulièrement, elle te ferait taire en moins de deux, ce qui pourrait s'avérer utile la prochaine fois que tu viendras me rendre visite, maintenant que j'y pense. Bref, je l'ai prise sous mon aile et l'ai intégrée au Tests&Fly. Elle est nouvelle en ville, je ne voulais pas qu'elle se sente seule. C'est une fille vraiment sympa et elle sait faire parler les ordinateurs presque aussi bien que moi. C'est cool, on est devenus bons amis. La prochaine étape ? Je vais essayer de la faire monter sur scène dans le groupe d'Elliot. Parce que je t'ai précisé qu'elle avait une voix d'ange ? Ouais, bon, j'exagère un peu, mais elle chante vraiment super bien. Elle est pas mal réticente, elle n'aime pas trop attirer l'attention sur elle, mais c'est un défi que je vais adorer relever, je te le garantis ! Allez, j'arrête d'écrire, j'ai l'impression d'être une gonzesse dépressive qui se confie à son journal intime et j'suis trop viril pour ça. On en reparlera la prochaine fois qu'on se voit – ça m'étonnerait que tu sois assez motivé pour me répondre, pas vrai ? - et tu me diras tous les bizutages tordus que tes collègues t'ont fait subir. On va se marrer.

Ciao, mon pote !
Trent -